Back to: Main Page > Philosophie

Pensée de soi

Après avoir constaté mon existence (cf. cogito cartésien), je constate que j'ai constaté mon existence : je constate donc qu'il existe en moi une capacité de réflexion sur moi-même (cf. le mot "réflexion"). Ce constat n'est pas réfutable car dès le cogito, le "je pense" est pensé par moi, et donc je me pense. Aucune théorie métaphysique ultérieure ne pourra réfuter ceci, car cette théorie, pensée par moi, et parlant de moi (puisque étant métaphysique) fournit elle-même un exemple ou je pense sur moi.

La pensée de soi nécessite la potentialité d'action sur soi, et est d'autant plus grande que celle-ci est importante. En effet, si quelqu'un d'autre me pense, cela ne modifie pas mon état, mais si je me pense, cette pensée a lieu en moi, et donc modifie mon état. Comme je suis à l'origine de cette pensée de moi, j'agis sur moi ; si je n'avais pas cette possibilité d'action sur moi-même, je ne pourrais donc pas me penser, et mes pensées seraient une suite linéaire d'idées se succédant mécaniquement les unes aux autres (cf. ce qui se passe dans un ordinateur), sans que j'en suive le fil, et donc sans que j'en sois conscient (bien sûr, la conscience peut elle aussi être mécanique ; elle n'en est pas moins pensée de soi et action sur soi). La conscience de soi nécessite donc la possibilité d'agir sur soi (la réciproque étant probablement fausse : une action sur soi n'implique pas nécessairement une pensée de soi).

Cette conscience de soi n'est pas opposée au déterminisme (qui en est la cause) ; elle en tempère certains effets. En particulier, la notion de responsabilité, qui semblait indéfinissable dans le déterminisme, apparaît : si je peux penser mes pensées, et donc les modifier, je peux modifier une ancienne pensée, et donc contourner le déterminisme direct ; je connais donc les décisions que j'ai prises et peux les modifier (si je ne peux pas les modifier, je ne peux pas agir sur moi et suis donc dans un moment d'inconscience, d'action mécanique). Si je connais et peux modifier mes décisions, j'en suis responsable, car l'argument que, selon le déterminisme, elles étaient inévitables, ne tient plus. Tout sujet conscient d'exister est donc responsable (car capable de maîtriser ses actions).

J'appellerai existence de soi le mode d'existence d'un être quand il se pense lui-même (et non pas d'un être ayant seulement la potentialité de se penser lui-même), c'est-à-dire quand il pense (sur) ses pensées.

D'autre part, un être n'ayant pas cette possibilité d'action sur ses pensées ne peut pas crédiblement se déclarer existant ("crédiblement", car on peut toujours faire écrire à un ordinateur "j'existe" ; "crédiblement" signifie que l'être se déclarant existant pense cette déclaration). Si l'on cherche à prouver son existence, ou en fait à acquérir ou augmenter l'existence de soi (ce qui semble naturel et spontané, et est inévitable chez tout sujet conscient, qui cherche à augmenter sa conscience et ne peut pas admettre qu'il n'existe pas sous peine de contradiction immédiate), on doit donc augmenter ses facultés d'action sur soi-même (ce ne sera sans doute pas suffisant). Or on constate que cette augmentation (et une meilleure maîtrise) de l'action sur soi-même se fait toujours en corrélation avec les activité humaines appelées intelligentes ou intellectuellement évoluées. Cette action sur soi-même ne se réduit pas à une action sur le monde extérieur dont on voit les résultats (la vision peut ne pas entraîner de modification des pensées, et donc il n'y a pas action sur sa pensée), mais à une action sur le monde (ou sur notre pensée) dont on observe les résultats. Ceci est exactement ce qui se passe dans l'art (modification du monde extérieur par le sujet qui interprète ensuite les informations sensibles qui lui reviennent en termes de beauté et de signification ; il y a donc bien modification de la pensée), et dans les sciences expérimentales (pour les sciences basées sur l'observation, quand l'expérience est difficile ou impossible [sciences humaines, cosmologie...], l'activité de recherche et de collecte de l'observation peut être considérée comme une action) ; dans ces deux cas, l'action a un retour sur soi aboutissant à une modification des pensées (de l'état intellectuel) [l'art en fait partie, et pas les actions conduisant à un plaisir, car la beauté est pensée et pas le plaisir qui est plutôt subi] ; pour les sciences et connaissances abstraites (mathématiques, philosophie), ceci est encore plus caractéristique car l'action sur ses pensées ne passe pas par le monde extérieur (ce qui était le cas pour les arts et sciences expérimentales), elle est donc rétroaction pure de la conscience sur elle-même sans recours à l'extérieur. A noter : pour les arts et sciences expérimentales, la modification de pensée vient du monde extérieur, et de la logique pour la connaissance abstraite. Ainsi les activités classiqument dites intellectuelles, particulièrement les plus abstraites, sont-elles un outil indispensable dans l'acquisition d'une plus grande possibilité d'action sur ses pensées (et d'un contrôle plus fin de ces pensées), et donc d'une plus grande existence de soi (mais sont-elles suffisantes ou ne sont-elles qu'un outil ? Il semble que combinées à un exercice de responsabilité de ses actions, elles aboutissent à une bonne conscience de soi). Mais l'activité intellectuelle mécanique sans conscience de cette activité existe aussi : elle correspond à une modification de ses pensées par soi-même, mais sans que cette modification soit elle-même pensée. La modification des .pensées par soi-même (qu'elle soit pensée ou non) correspond assez bien à ce que l'usage appelle réflexion ou activité intellectuelle ou raisonnement. Quand cette modification est pensée, elle devient jugement ce qui implique que chez un être conscient, les jugements sont inévitables).

A noter qu'au cours de son histoire, l'homme a suivi cette tendance à contrôler de plus en plus son environnement (exemple extrême : la réalité virtuelle) et donc (idéalement) ses possibilités d'action sur ses pensées (bien que souvent ce ne soient qu'actions pour le plaisir et non sur les pensées). L'homme a donc plus d'existence de soi que l'animal. D'autre part, en métaphysique, on réfute le solipsisme en faisant appel aux états mentaux que je ne contrôle pas (sensations, etc.),ce qui prouve l'existence d'un élément extérieur (quel qu'il soit) qui en est à l'origine. Il semblerait donc qu'au cours de l'histoire de l'humanité, cet argument perde de sa force. Mais ceci nécessite l'intervention d'une collectivité ; réfute-t-elle immédiatement le solipsisme ? Non car même si c'est elle qui me donne la possibilité de contrôler mon environnement, je peux nier son existence précisément parce que je contrôle cet environnement ; le contrôle parfait de mes pensées, qui implique que je peux me considérer comme seul existant, n'est cependant pas contradictoire avec l'existcnce du monde extérieur, mais dénué de possibilité d'action. (Peut-être la perte de force de cet argument marque-t-elle aussi l'émergence d'un organisme regroupant toute la collectivité qui seule peut se donner les moyens de se contrôler entièrement.) L'homme tendrait donc au cours de son évolution vers plus de solipsisme.

Un humain qui serait entièrement contrôlé par son environnement, sans aucune possibilité de rétroaction (d'action sur lui-même) continuerait-il longtemps à être conscient ? Etr un être contrôlant totalement ses sensations, au point de ne pas connaître le monde extérieur ? (Contrôlabilité =possibilité d'action sur soi n'est pas un contrôle effectif permanent et total.)

Problème : quelle est la limite exacte de ce que j'appelle "moi" (càd de ce qui a une existence de soi, au sens ci-dessus) ? Si on admet le matérialisme, tout existe. Pour le solipsisme, seul moi existe, càd soit mon corps, soit (plus souvent) l'ensemble des pensées qui me sont présentes à l'esprit à un moment donné. Mais beaucoup de ces pensées, beaucoup de parties de moi-mêmes me semblent extérieures : mes réflexes, les associations d'idées automatiques, voire la mémoire (que j'ai souvent du mal à contrôler), sont en fait extérieurs et sont donc à exclure du "moi". La partie de mes pensées qui m'est présente à l'esprit est en fait très réduite et peut sembler insaisissable. Existe-t-elle vraiment, alors ? Si au contraire cette partie est inexistante, on a, en prolongeant la logique de réduction de l'existence du solipsisme, atteint une théorie qui dit que rien n'a conscience de soi (que rien n'existe), très proche voire identique au matérialisme qui prétend que tout existe (sans être conscient de soi) : dans les deux cas, ce que je considère comme "moi" a une existence égale à celle du monde extérieu (dans l'un le "moi" est une illusion de même que le monde extérieur ; dans l'autre, le "moi", composé d'éléments semblables à ceux du monde extérieur, a le même statut qu'eux d'existence passive). Cependant, une théorie qui me refuse la conscience pose problème. En effet, ma conscience est la première chose que je connais (et en fait la seule que je connais vraiment) ; toute théorie métaphysique qui me refuse la conscience est intenable ; en effet cette théorie ne peut être élaborée qu'avec la conscience, et l'énoncer revient à énoncer "je ne pense pas" ce qui est impossible (une telle théorie métaphysique serait juste dans un monde sans être élaborant des théories métaphysiques). Ma pensée est une donnée de moi-même précédant toute autre, et je ne peux la mettre en doute (d'une certaine manière, elle est sa propre cause logique) : le simple fait que je la mremette en cause prouve que je pense.

Pour permettre la conscience, la rétroaction ci-dessus doit être instantanée (ou plus exactement, pour éviter une référence à un temps extérieur, être son propre objet, càd que le résultat de l'action fait partie de l'action). [ceci n'est pas incompatible avec la neurologie : les neurones fonctionnent toujours en accumulant des données durant un temps faible ; "instantané" signifie alors "temps inférieur à celui pouvant être distingué par un neurone".] Conscience -> résolution du pb qui dit que l'instant n'existe pas ?

Back to: Main Page > Philosophie

To leave a comment: contact (domain) yann-ollivier.org