Yann Ollivier, 10 mai 2001
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On définit ici la cohomologie de des faisceaux. Notre but est d'exposer la construction de base de dans différentes situations : la définition d'objets cohomologiques globaux par recollement d'objets définis sur les intersections des ouverts d'un recouvrement d'un espace.
On commence par motiver la construction de en exposant le cas simple des complexes. On utilise ensuite la cohomologie de des faisceaux pour une démonstration particulièrement élégante du théorème de De Rham (isomorphisme entre la cohomologie de De Rham et celle de à coefficients dans pour une variété différentiable).
Enfin, on donne une application de ces méthodes à l'étude des fibrés en droites (complexes), et on définit en particulier leur première classe de Chern. On démontre sur cette dernière une sorte de formule de Gauss-Bonnet.
Nous admettrons sans démonstration plusieurs théorèmes d'algèbre homologique portant sur la cohomologie de , qui peuvent se démontrer à l'aide des techniques précédemment exposées dans le groupe de travail.
Une grande partie de l'exposé est une sélection du matériel des chapitres 0 et 1 de [GH].
Un complexe combinatoire de sommets est la donnée d'un ensemble S de parties de , tel que et tel que si et , alors .
On peut se représenter un tel complexe dans en plaçant en , en plaçant les à distance 1 sur chacun des axes de coordonnées, et en dessinant, pour tout de cardinal i, un simplexe de dimension entre les sommets inclus dans A. La condition dit alors que le bord d'un simplexe du complexe est dans le complexe.
L'idée est de définir l'homologie de ce complexe de manière combinatoire. Soit A un anneau, on note le module libre qu'on munit de la différentielle
On a ainsi défini un module différentiel gradué. Son homologie est l'homologie de du complexe combinatoire S.
On peut aussi définir la cohomologie, en notant le module des fonctions sur S à valeurs dans A (isomorphe au précédent... nous sommes en dimension finie), et définir la différentielle de par , ou encore :
(éventuellement avec un signe si l'on se préoccupe d'une belle théorie de structures multiplicatives ensuite, ce qui ne sera pas notre cas). La cohomologie de de S est alors la cohomologie de ce complexe (elle est bien sûr isomorphe à l'homologie).C'est ce point de vue combinatoire, où le bord d'un k-uplet est une somme alternée de -uplets, qui définira la cohomologie de des faisceaux. Un formalisme très similaire apparaît dans la définition de la cohomologie des groupes. À noter que contrairement à la théorie de l'homologie singulière, on ne manipule que des modules de dimension finie.
Telle que nous l'avons construite, l'homologie de d'un complexe est identique à l'homologie d'un dessin de ce complexe dans (ce n'est pas immédiat).
À l'origine de cette théorie, on trouve des problèmes de recollements. Si on a un recouvrement d'un espace topologique, si on a des fonctions définies sur chaque partie du recouvrement, et si ces fonctions se recollent bien sur chaque intersection de parties du recouvrement, alors on peut définir un objet global sur tout l'espace, qui sera un élément de la cohomologie de l'espace à valeurs dans notre espace de fonctions.
Par ailleurs, il peut être intéressant de regarder la cohomologie à valeurs dans un espace qui pourrait varier d'un endroit à un autre. Si on a par exemple un quotient Y d'un espace X : , on peut vouloir obtenir des informations sur la cohomologie de X à partir de la cohomologie de Y et, en tout point , de la cohomologie de la fibre .
Ces considérations amènent à la définition des faisceaux, que nous rappelons.
Faisceaux. Un faisceau sur un espace topologique X est la donnée, pour chaque ouvert U de X, d'un module , dont les éléments sont appelés sections au-dessus de U, ainsi que d'un morphisme de restriction d'un ouvert à un autre , pour . On demande les conditions suivantes pour tous ouverts U, V, W, qui expriment que ce cette restriction ressemble à ce qu'on appelle usuellement restriction :
On notera indifféremment ou .
Par exemple, l'espace des fonctions continues sur les ouverts d'un espace topologique est un faisceau.
Un autre faisceau que nous utiliserons par la suite est celui des fonctions localement constantes à valeurs dans ou . Étudier les conditions de recollement de fonctions localement constantes revient exactement à étudier l'homologie usuelle de l'espace (cf. ci-dessous).
Un morphisme de faisceaux est simplement une collection de morphismes pour tout ouvert U, commutant à la restriction.
Le noyau d'un morphisme de faisceaux est un sous-faisceau du faisceau de départ, défini sur chaque ouvert comme le noyau du morphisme sur cet ouvert. C'est bien un faisceau.
Quotients de faisceaux. Pour définir un quotient de faisceaux, il n'est pas correct de prendre au-dessus de chaque ouvert le quotient correspondant : cela ne donne pas toujours un faisceau.
Par exemple, si l'on prend, sur l'espace , la fonction exponentielle qui est un morphisme du faisceau des fonctions holomorphes vers celui des fonctions holomorphes ne s'annulant pas sur , on voit que la fonction z n'est pas dans l'image, tandis que sa restriction à tout ouvert de n'entourant pas l'origine y est (on peut en prendre le logarithme), ce qui contredit la propriété de recollement des faisceaux.
On voudrait donc dire qu'une section appartient à l'image d'un morphisme de faisceaux si on peut trouver un découpage de son support en ouverts plus petits, tel que sur chacun de ces ouverts, sa restriction soit effectivement atteinte. Ceci amène la définition suivante.
Le faisceau quotient du faisceau par le sous-faisceau est le faisceau dont une section au-dessus d'un ouvert U est donnée par un recouvrement ouvert de U et une famille de sections coïncidant sur les intersections : ; deux telles sections et sont identifiées si leur différence est localement dans , i.e. si en tout point , on peut trouver un voisinage V de x tel que .
Une suite de morphismes de faisceaux
est dite exacte si fait de un sous-faisceau de et si par .Une suite de faisceaux
est dite exacte si et si .En conclusion, si est exacte, il est faux de dire que le soit aussi pour un ouvert U : la dernière flèche n'est que localement surjective.
La cohomologie de à valeurs dans un faisceau représente l'obstruction au recollement de solutions locales dans le faisceau, en une solution globale. On étudie un exemple d'où sort naturellement le formalisme de .
Exemple. Soit le problème de Mittag-Leffler : sur une variété complexe, trouver une fonction méromorphe ayant des pôles prescrits, et holomorphe ailleurs. Localement (dans un ouvert contenant un seul pôle prescrit), le problème est trivial. Soit donc une solution méromorphe au-dessus de .
On veut trouver une fonction globale f telle que sur chaque , soit holomorphe. Il est donc nécessaire et suffisant de trouver des holomorphes et se recollant bien i.e. sur , . Si l'on introduit les , le problème revient à écrire les définis sur chaque intersection d'ouverts, comme différence de fonctions définies sur ces ouverts. On dira alors que les sont un (co)bord.
Cependant, les ne sont pas tout à fait quelconques : ce sont des différences de fonctions (méromorphes, pas holomorphes comme on le souhaiterait) sur et . Elles vérifient, en particulier, la relation . On dit qu'elles forment un (co)cycle. Au final la question est d'écrire un (co)cycle comme un (co)bord.
Cohomologie de . Soit X un espace topologique muni d'un faisceau . Soit un recouvrement ouvert de X. On définit les cochaînes de degré k à valeurs dans comme les applications qui à chaque k-uplet d'ouverts du recouvrement, associent une section sur leur intersection :
On définit l'opérateur bord pour par
Écrivons pour l'exercice, cette définition en degré 0 et 1 :
etLa cohomologie de du faisceau pour le recouvrement est la cohomologie de ce complexe :
Tout ceci dépend de notre choix de recouvrement. On a évidemment une application naturelle de la cohomologie sur un recouvrement vers la cohomologie sur un recouvrement plus fin. Ceci permet de définir rondement la cohomologie de v{C}ech de l'espace X comme la limite inductive, sur tous les recouvrements, de la cohomologie ci-dessus :
D'abord, n'est autre que l'ensemble des sections globales de X dans (ce sont des sections définies sur les ouverts qui coïncident sur leur intersection). Ceci montre que la cohomologie de contient autant d'information sur le faisceau que sur l'espace sous-jacent.
La cohomologie de des faisceaux est covariante en le faisceau d'arrivée : un morphisme de faisceaux définit naturellement un morphisme en cohomologie à coefficients dans ces faisceaux.
Notons que tout cocycle doit vérifier la condition d'antisymétrie
En prenant comme faisceau les fonctions localement constantes à valeurs dans , si sur un le dessin d'un complexe combinatoire on prend comme recouvrement ouvert les sommets, faces et arêtes un peu épaissis, on voit qu'on obtient exactement la cohomologie de du complexe combinatoire. On admettra que sur toute variété, la cohomologie de à coefficients dans est isomorphe à la cohomologie singulière.
Par ailleurs, toute suite exacte de faisceaux définit une suite exacte longue en cohomologie
où l'application s'obtient en remarquant que si un élément de , vu dans , est de bord nul, c'est que son bord est dans . La vérification de l'exactitude est pénible à cause de la limite sur les recouvrements et de la définition locale des suites exactes de faisceaux.Cette suite exacte permet de résoudre, au moins théoriquement, les problèmes de surjectivité globale. Si est une suite exacte de faisceaux, si est une section globale de , x est l'image d'une section globale de si et seulement si est nul dans .
La vérification de la suite exacte de Mayer-Vietoris pour une partition en deux ouverts est assez simple.
Le problème du passage à la limite peut être contourné quand on connaît le théorème de Leray, qui affirme que si les ouverts d'un recouvrement sont tels que pour et pour toute intersection finie V des , alors la cohomologie de du recouvrement est identique à la limite. Ce théorème se démontre à l'aide d'outils d'algèbre homologique n'ayant pas leur place ici (cf. [G]). C'est ce théorème qui rend calculables les cohomologies d'un grand nombre de faisceaux.
Enfin, mentionnons une dernière propriété : si l'on se place sur une variété M, le faisceau des fonctions sur M admet des partitions de l'unité. On peut alors voir que sa cohomologie en degré strictement positif est nulle. En effet, soit un recouvrement ouvert de M, soit une partition de l'unité y subordonnée, et soit un cocycle. On pose
et on vérifie alors aisément, en utilisant , que . Plus généralement, il en sera de même de tout faisceau en -modules, en multipliant de la même manière par des partitions de l'unité . En particulier, le faisceau des p-formes différentielles vérifie pour .Nous montrons ici que la cohomologie de De Rham d'une variété est isomorphe à sa cohomologie de à coefficients dans .
L'argument, très court, utilise des suites exactes de faisceaux. En fait, il revient à faire passer, degré par degré, le côté « on intègre autour d'un trou » de la cohomologie de De Rham en un recouvrement construit autour du trou, dans l'idée combinatoire de , en montrant que chaque étape est un isomorphisme.
Soit M une variété, soit le faisceau des p-formes différentielles sur M, et soit celui des p-formes fermées.
La cohomologie de De Rham en degré p est le quotient des p-formes fermées par les différentielles des -formes. Une p-forme est, par définition, une section globale du faisceau des p-formes (!!!!), donc un élément de puisque le s'identifie aux sections globales. D'où :
où désigne l'application en cohomologie associée à l'application .D'après le lemme de Poincaré, toute forme fermée est localement exacte, et donc les suites de faisceaux
sont exactes (avec par convention , faisceau des fonctions localement constantes, et le faisceau des fonctions ).Écrivons donc partiellement les suites exactes longues en cohomologie associées à ces suites exactes de faisceaux :
où (ne pas confondre) est la différentielle extérieure et l'opérateur bord de la longue suite exacte.Or le faisceau admet des partitions de l'unité, donc pour et par conséquent
Pour , on obtient
d'oùOn a donc
On s'intéresse désormais à des fibrés en droites réelles ou complexes, et on montre comment la cohomologie de contribue à leur classification. En particulier, on définira la première classe de Chern d'un fibré en droites complexes et on démontrera qu'elle s'identifie à la forme de courbure de ce fibré, ce qui constitue une sorte de formule de Gauss-Bonnet.
(Les variétés ainsi que toutes les applications mentionnées dans ce paragraphe sont ).
Le point de départ est l'intuition que la seule non-trivialité qui puisse arriver à un fibré en droites réelles est de faire un tour sur lui-même quand on suit un lacet non trivial dans la variété de base. On voudrait donc dire que l'ensemble des fibrés en droites sur une variété M ressemble à ou
Ceci n'est pas tout à fait vrai. Si par exemple sur le cercle, on prend une droite qui fait deux tours sur elle-même, le fibré obtenu est isomorphe au fibré trivial. Deux tours semblent donc ne compter pour rien. Notre nouvelle conjecture est donc que l'ensemble des fibrés en droite s'identifie à .
Un petit détour par , qui est l'exemple le plus simple où on voit bien apparaître les coefficients dans , semble montrer que cette conjecture tient la route : il existe un fibré en droites qui fait exactement un tour sur lui-même lorsqu'on parcourt une droite de de à (par exemple, si la droite est horizontale, prendre le fibré engendré par la direction verticale en chaque point). Nous allons montrer qu'en effet, cette conjecture est exacte.
Un fibré vectoriel sur une variété M est la donnée d'une variété E, d'une projection telle que , est muni d'une structure d'espace vectoriel isomorphe à un espace vectoriel F, et d'un recouvrement ouvert de M avec des cartes telles que d'une part, , et d'autre part sur , où .
On demande donc que localement le fibré soit simplement un produit de la variété par un espace vectoriel, et que ces produits locaux se recollent globalement, ce qui est dans l'esprit même de la cohomologie de .
On prend désormais car, pour pousser l'analogie, il est beaucoup plus commode que soit commutatif.
Plus précisément, donc, si on a un fibré en droites réelles, si appelons l'élément précédemment défini. Alors g est simplement une cochaîne de de degré 1 (définie sur les intersections d'ouverts du recouvrement) à valeurs dans le faisceau (multiplicatif) des fonctions de M dans .
Et même, sur les intersections de trois ouverts , on a bien sûr . Cela signifie que les forment un cocycle de .
Inversement, étant données des fonctions de chaque dans vérifiant ces conditions, on peut construire un fibré en prenant d'abord l'union disjointe des , puis en identifiant les points au-dessus de selon les . La relation de cocycle dit alors exactement que cette identification est une relation d'équivalence.
Montrons que le fibré défini par un cocycle ne dépend que de sa classe d'homologie. Si est une 0-chaîne, ajouter son bord à une 1-chaîne la transforme en . Le fibré défini par cette nouvelle 2-chaîne est isomorphe à celui de départ : on a seulement changé chaque carte en par multiplication par . Inversement, toute autre trivialisation du même fibré est obtenue par application, pour chaque , d'un élément de , et la restriction à chaque de f définit une 0-chaîne dont on devra ajouter le bord aux pour obtenir la nouvelle trivialisation.
Ainsi, l'ensemble des fibrés en droites sur M s'identifie à où est le faisceau multiplicatif des fonctions réelles ne s'annulant pas sur M. La structure algébrique est préservée : le produit tensoriel des fibrés en droites est la somme (plutôt multiplication) dans le , le fibré dual est l'opposé (l'inverse).
Maintenant, on a envie de dire qu'une fonction à valeurs dans est, en cohomologie, la même chose qu'une fonction à valeurs dans . Pour cela, il suffit de considérer le faisceau des fonctions réelles sur M, et de constater que la suite de faisceaux
est exacte. Ensuite, comme est un faisceau admettant des partitions de l'unité, sa cohomologie en degré strictement positif est nulle ; alors la suite exacte longue en cohomologie fournit un isomorphisme entre et .On a donc démontré que l'ensemble des fibrés en droites réelles sur une variété M s'identifie à . On va s'attaquer aux fibrés complexes. La situation sera plus compliquée, et ce sont en fait des éléments du (les premières classes de Chern) qui vont naturellement intervenir.
Variétés complexes. Les variétés complexes sont définies de la même manière que les variétés réelles, en demandant que localement, on ait une identification à des ouverts de , et que les changements de carte soient holomorphes. En chaque point on peut définir des coordonnées locales et , et le fibré tangent complexe est .
On notera T le fibré tangent (ou TM en cas d'ambiguïté), et et les parties holomorphe et antiholomorphe de ce fibré, localement engendrées par les et les respectivement. La décomposition est stable par les applications holomorphes entre variétés (c'est une condition nécessaire et suffisante pour qu'une application entre variétés complexes soit holomorphe).
On notera également le fibré cotangent et sa décomposition en parties holomorphe et antiholomorphe.
Une forme différentielle de degré p est une section globale du fibré Les formes différentielles sont localement des produits extérieurs de et , multipliées par des coefficients . On notera . On notera aussi les formes s'écrivant localement comme produit extérieur de p formes holomorphes et de q formes antiholomorphes de degré 1.
La différentielle extérieure est localement définie par où (I et J sont des multi-indices) :
et étant une fonction .Fibrés hermitiens. Un fibré hermitien est un fibré complexe dont chaque fibre est munie d'un produit scalaire hermitien. En d'autres termes, si E est un fibré complexe de base M, une structure hermitienne est un élément de hermitien dans chaque fibre, où désigne le fibré dual de E.
On notera les p-formes différentielles sur la base M à valeurs dans le fibré E, autrement dit, les sections du fibré . Il convient toujours de ne pas confondre et .
Il est à noter que sur un fibré hermitien, l'opérateur est canoniquement défini (mais par ) : pour cela, constatons que les éléments de s'écrivent localement comme combinaison linéaire d'éléments de la forme où est un élément de et e une section holomorphe de E ; déclarons que l'opérateur appliqué à une section holomorphe donne 0 et posons donc .
Connexions. Une connexion sur un fibré est une manière de comparer des fibres voisines (ce qu'on ne peut faire canoniquement), ou encore une manière de dériver des sections du fibré par rapport à un vecteur de la base : a priori, on voudrait pour dériver former la différence des valeurs de la section en des points de fibres infiniment voisines, mais cela ne peut pas se faire canoniquement.
Précisément, une connexion est une application satisfaisant la règle de Leibnitz : pour toute fonction sur M et pour toute section ,
Alors, si v est un vecteur tangent de la base au point , la dérivée de la section e dans la direction v est qui est un élément de la fibre en x.
Une connexion définit aussi une notion de transport parallèle d'un vecteur de la fibre le long d'une courbe de la base : on dit que le vecteur est transporté parallèlement à lui-même si sa dérivée par rapport au vecteur tangent à la courbe est nulle.
Une fois donnée une connexion sur E, on peut étendre cette dérivation aux p-formes à valeurs dans E en posant par définition la règle de Leibnitz : pour et , on définit la dérivée de par
Courbure. Soit un fibré hermitien E de base M, muni d'une connexion D. On notera le produit hermitien sur les fibres. On dit que la connexion est compatible avec la structure hermitienne si pour toutes sections , on a
(en particulier, la norme et les angles entre vecteurs sont conservés lors du transport parallèle).En utilisant la décomposition en parties holomorphe et antiholomorphe , on peut définir les parties holomorphe et antiholomorphe de D. On dit que D est compatible avec la structure complexe si est égal à l'opérateur défini ci-dessus.
Un fibré hermitien peut être canoniquement muni d'une connexion. En effet, un lemme classique (cf. [GH]) affirme que sur un fibré hermitien, il existe une unique connexion compatible avec la structure complexe et avec la structure hermitienne. Ce sera toujours celle-là que nous considérerons par la suite.
Pour définir la courbure, on commence par regarder la composée de la connexion et qui à toute section associe , qui est une 2-forme sur M à valeurs dans E.
appliqué à un couple de vecteurs tangents à la base, s'interprète (au signe près) comme la variation du vecteur e de la fibre lorsqu'on le transporte parallèlement le long du vecteur u, puis de v, puis de , puis de . Sur une surface courbée dans l'espace, on voit que si on prend un vecteur (par exemple un vecteur tangent) et qu'on le transporte parallèlement à lui-même suivant une boucle de la surface (« parallèlement » dans la surface et non dans l'espace ambiant), on ne va pas revenir sur le même vecteur. La courbure décrit ce phénomène.
Par un petit miracle, en chaque point, la valeur de ne dépend que de la valeur de la section e en ce point, et pas des valeurs voisines. En effet, est -linéaire : si et , on a
Par conséquent, si deux sections e et ont même valeur en un point, et ont la même valeur. Autrement dit, l'application provient d'une application du fibré E dans le fibré définie au-dessus de chaque point de la base. Formulé encore autrement, définit une section globale du fibré .
La forme est appelée la forme de courbure du fibré. Elle associe à tout couple de vecteurs tangents à la base au point x une application linéaire de la fibre en x dans elle-même.
Si l'on travaille en coordonnées : on peut prendre des sections formant une base orthonormée au voisinage d'un point. Alors la connection D définit des coefficients par
mais les dépendent de l'ensemble des sections orthonormées choisies et non seulement de leur valeur en un point.Un calcul direct montre alors que
autrement dit la matrice (dont les entrées sont des 2-formes sur M) de dans cette base s'écrit comme la différentielle de la matrice (de 1-formes) , moins le produit extérieur (formel) de cette matrice avec elle-même.
Soit M une variété complexe. On désignera par le faisceau des fonctions holomorphes et par celui (multiplicatif) des fonctions holomorphes ne s'annulant pas sur M. On rappelle qu'on exige d'un fibré complexe que ses changements de carte soient holomorphes.
Exactement pour la même raison que pour les fibrés en droites réels, l'ensemble des fibrés en droites complexes sur M s'identifie à . Cette identification respecte les fibrés duals et le produit tensoriel.
On a une suite exacte de faisceaux
où représente .Cette suite exacte de faisceaux donne en cohomologie un opérateur bord
Si est un fibré, sa première classe de Chern est définie comme .
Prenons un exemple. Plaçons-nous sur la sphère de Riemann et considérons un recouvrement à deux ouverts, l'un étant le disque de rayon 1 dans un peu élargi, l'autre son complémentaire un peu élargi. L'intersection est un anneau. Prenons deux trivialisations, et prenons z comme fonction de transition entre ces trivialisations. On voit bien ce qui se passe : en recollant les deux trivialisations, on fait faire un tour au fibré quand on tourne autour de l'origine. La classe de Chern de ce fibré est 1 dans . La classe de Chern compte combien de tours le fibré fait autour de chaque 2-cavité de M.
On a évidemment et .
En outre, on peut montrer qu'un fibré en droites complexes est déterminé, à isomorphisme (mais non holomorphe), par sa classe de Chern.
Soit E un fibré en droites sur une variété M, muni d'une connexion quelconque. Soit sa courbure. est une section du fibré , or comme le fibré est de dimension 1, est (canoniquement !) isomorphe à .
est donc simplement une 2-forme différentielle sur M.
On a vu que localement, s'écrivait sous la forme où est une (matrice dont l'entrée est une) 1-forme. On a et donc , autrement dit, est localement exacte, donc fermée.
La forme de courbure d'un fibré en droites complexes est ainsi une 2-forme fermée sur la base. On peut donc considérer sa classe en cohomologie de De Rham .
Par ailleurs, la classe de Chern du fibré, , peut être vue comme un élément de , qui s'identifie à d'après le théorème de De Rham démontré ci-dessus.
Théorème -- Ces deux classes de cohomologie peuvent être comparées :
Ce théorème est évidemment à rapprocher de celui de Gauss-Bonnet.
Démonstration. Calculons d'abord la classe de Chern. Soit un recouvrement ouvert de M donnant une trivialisation de E, assez fin pour que les intersections soient simplement connexes. Soient les fonctions de transition entre ouverts.
Maintenant, reprenons la définition de la classe de Chern en cohomologie :
provenant de la suite exacte cohomologique longue issue deLe bord du cocycle est nul, on veut prendre, par logarithme, son bord dans , qui provient des différentes déterminations du logarithme. C'est le cocycle
(les ouverts étant simplement connexes, on peut sur chacun trouver une détermination du logarithme complexe).Travaillons maintenant sur la connexion. Prenons sur l'ouvert la section donnée par dans la trivialisation, que nous notons . Sur , on a par définifiont .
La connexion est localement donnée par une 1-forme telle que (nous sommes en dimension 1...). Sur , on a
On a donc la loi de transformation des , ou encore le bord de la 0-chaîne :
La forme de courbure est alors , globalement définie.
On a ainsi des formes plus ou moins explicites, d'une part, pour la classe de Chern, donnée par le 2-cocycle , et d'autre part pour la courbure donnée comme une 2-forme différentielle avec . Pour obtenir l'égalité, il faut désormais expliciter l'isomorphisme de De Rham démontré plus haut. Nous allons donc partir de la 2-forme .
Une première partie de l'isomorphisme provenait de la suite exacte
issue du lemme de Poincaré. L'opérateur bord de la longue suite exacte correspondante en cohomologie, associe à une section de , autrement dit une 2-forme fermée (par exemple ...), un élément de : qui est obtenu de la manière suivante : par lemme de Poincaré, écrire localement, sur chaque ouvert, comme la différentielle d'une 1-forme ; prendre le bord de cette 0-chaîne de 1-formes, c'est l'opérateur bord cherché. Notre écriture locale de comme différentielle est toute trouvée : on a sur . Le bord de cette 0-chaîne de 1-formes est bien sûr la 1-chaîne , autrement dit .L'autre partie de l'isomorphisme provenait de la suite exacte
( est le faisceau des -formes, autrement dit des fonctions ), qui fournit elle aussi un opérateur bord , obtenu en écrivant une 1-chaîne de 1-formes, localement, comme une 1-chaîne de différentielles de fonctions, et en prenant le bord de cette 1-chaîne. Là encore, notre 1-chaîne est toute écrite comme différentielle locale de fonctions puisque . On doit donc prendre le bord de la 1-chaîne de fonctions , ce qui donne, bien entendu, , ce qui démontre le théorème.
[G]R. Godement, Topologie algébrique et théorie des faisceaux, Hermann, Paris (1958).
[GH]P. Griffiths, J. Harris, Principles of algebraic geometry, Wiley, New York (1978).