Certains prétendent que le vieillissement de la population (dans les pays développés) nécessite un changement complet du financement des retraites, et que le système par répartition sera inadapté à une situation comportant plus de retraités. Le candidat à sa succession est la capitalisation : tout au cours de leur vie, les individus mettraient de côté une somme placée sur les marchés financiers, et dont les produits, pendant leur retraite, leurs seraient reversés par l'intermédiaire de fonds de pension.
Une évidence cependant : quel que soit le mode de financement, il faudra toujours faire vivre les retraités de 2050 avec la production de 2050... Si l'on croit, selon les prévisions alarmistes, que la population sera trop pauvre pour faire vivre ses retraités par un système de répartition des richesses disponibles, changer la comptabilité de la chose ne changera guère le problème. Si en 2050 les fonds de pension peuvent lever suffisamment de capitaux pour payer les pensions, c'est que ces capitaux seront disponibles...
Cependant, il est presque certain que le système par capitalisation fera nettement moins bien que la répartition, et sera complètement incapable de tenir ses promesses. La publicité, simpliste, pour la capitalisation va comme suit : les marchés financiers ont un rendement de tant de % par an (mettre ici un taux très élevé), qui pourrait fort bien financer nos retraites, plutôt que de nous forcer à payer des cotisations. Le problème est le suivant : pour payer quelque chose à partir d'un gain financier, il faut retirer le gain en question du marché. Sur le papier, les financiers gagnent en effet tant de % par an, qu'ils ne déplacent pas. Si à la fin de chaque année, tous les actionnaires retiraient leurs gains pour les consommer, les gains en question seraient fort inférieurs à ce qu'ils sont sur le papier (on pourrait même craindre un krach). Or, pour verser des pensions, c'est bien ce qu'il faudra faire.
Autre raison pour laquelle le système par capitalisation ne pourra pas verser les sommes qu'il annonce : si les marchés financiers actuels ont un rendement élevé, c'est en partie parce que les entreprises cotées sont parmi les plus productives de l'économie. Alors, un argument de type « il ne peut y en avoir que dix dans les dix premiers » amène à conclure qu'on ne peut pas gonfler à souhait la quantité d'argent placée dessus : on ne peut pas placer un quart de l'économie (mettons, le poids des retraites) sur un dixième de l'économie (et les fonds de pension américains ont déjà besoin des bourses européennes pour se fournir). Si le meilleur dixième de l'économie fournit du 10% par an, sa contribution au total, même en pompant tout son rendement, ne peut excéder 1%...
Ces raisons sans appel : qu'on devra quel que soit le système faire vivre les retraités de 2050 avec la production de 2050 ; qu'on ne peut pas retirer effectivement des marchés financiers les rendements faramineux qu'ils promettent, semblent absentes du débat, malgré toute leur évidence.
Plus insidieux : le passage de la répartition à la capitalisation reviendra, en gros, à faire payer les gens plus tôt. Entre le moment où les gens cotisent et celui où on leur reverse une pension, les capitaux en question seront passés par des gestionnaires qui prélèveront évidemment leur taux d'intérêt dans l'affaire... Ceci est absent du financement par répartition. On veut donc remplacer un système où les retraites sont financées gratuitement, par un autre où on demanderait aux gens de payer plus tôt, ce qui permet de prélever un taux d'intérêt non nul au passage. Sur le fait de payer plus tôt, encore : il est évident que la génération qui subirait la transition entre la répartition et la capitalisation paierait deux fois ses retraites... (Sans même parler du ralentissement de l'économie qu'un tel doublement des prélèvements pourrait entraîner.)
La capitalisation est présentée comme le seul moyen d'éviter l'augmentation inconsidérée des cotisations. Cependant, il est évident que les prélèvements du système par capitalisation seront, par principe, équivalents à ceux de la répartition (sans mentionner leur superposition pendant la phase de transition). Une augmentation équivalente des cotisations pourrait tout aussi bien assurer les retraites. À ce sujet, quelques ordres de grandeur : il suffirait d'une augmentation de 0,3 point par an des cotisations pour assurer que les retraites seront payées dans une population vieillissante. Ceci ne représente qu'une fraction de la croissance annuelle actuelle (de l'ordre de 2%), ce qui n'est vraiment pas la mer à boire et tue toutes les allégations d'incapacité de la répartition à assurer l'avenir des retraites. (Voir les chiffres.)
Sans parler du danger que représenterait la masse énorme de 40 ans d'avances de montants de retraite, circulant en liberté dans la finance mondiale et créant des crises par-ci, par-là au gré de leurs mouvements...
Au vu de toutes ces évidences, on peut se demander pourquoi les avocats de la capitalisation sont si nombreux. On pourrait invoquer la bêtise humaine. On peut aussi se demander à qui profite le crime.
Premièrement, aux politiques, car les cotisations pour la répartition sont obligatoires et étatiques, tandis que des prélèvement équivalents ou supérieurs, mais versés à des fonds de pension privés, ne seraient pas imputés à l'action de tel ou tel gouvernement, le fonds de pension ayant seul la responsabilité d'annoncer à ses membres qu'une augmentation des cotisations est inévitable.
Deuxièmement, aux fonds de pension eux-mêmes, qui, dans l'intervalle entre le versement des cotisations et le reversement de la pension, peuvent largement profiter de l'argent ainsi mis à leur disposition. Ou comment extorquer des milliards aux gens alors que le système par répartition ne profite bêtement à personne...